Les vrais-faux pêcheurs du lac Inlé (Birmanie)

Pour ceux qui s’intéressent à la Birmanie, vous connaissez très probalement le lac Inlé. Sans doute avez-vous déjà vu des images similaires à celles-ci, prises en 2012, et publiées par Nikon pour une affiche publicitaire. Fin 2015, je suis retourné sur le lac pour mieux comprendre le mode de vie de ces pêcheurs. 

Les vrais-faux pêcheurs du lac Inlé

Je suis retourné à plusieurs reprises en Birmanie. À chaque voyage, j’allais à la rencontre de ces pêcheurs et j’ai pu constater l’évolution de leurs pratiques.

Aujourd’hui, les pêcheurs Inthas sont devenus de véritables artistes, des acrobates ayant un sens de l’équilibre remarquable. Ils sont devenus experts dans l’art de tenir en équilibre en levant leur filet vers le ciel. Ce que peu de personnes savent, c’est que cette prouesse est purement esthétique et n’a plus rien à voir avec la pêche.

Les « vrais-faux » pêcheurs et le tourisme

Depuis la dissolution de la junte militaire en mars 2011, le pays s’est ouvert d’une façon spectaculaire : des régions autrefois interdites ou soumises à autorisation sont désormais accessibles, et le nombre de voyageurs est passé de 730  000 en 2008 lors de mon premier voyage au Myanmar à 4,9 million en 2019.

Les pêcheurs, devenus mondialement célèbres pour leur manière de pêcher et unique de ramer, ont pu profiter de cette expansion pour trouver d’autres revenus que celui de la pêche.

Et oui, les prendre en photo, n’est plus gratuit !

Récemment dans un article, je dénonçais le business autour des images de jeunes moines dans les pagodes de Bagan, une situation dans laquelle les moines sont instrumentalisés afin de satisfaire le besoin de photographes avides de « photos uniques » standardisées par des guides peu scrupuleux, dont la démarche est irrespectueuse.

Ici au lac Inlé, la situation est différente : pas d’intermédiaire, rien à voir avec la spiritualité ou le bouddhisme, le deal se fait entre les pêcheurs et les photographes voyageurs. Ces pêcheurs n’arrivent plus à pêcher autant que par le passé (le lac devient de plus en plus pollué et l’eau s’eutrophie, la jacinthe d’eau prolifère, et la faune aquatique diminue…). En plus, un poisson robuste (le tilapia) a été introduit, ce qui représente un désastre pour les espèces endémiques.

La population Intha est bien obligée de trouver des alternatives, et se faire prendre en photo est devenue l’une d’entre elles.

Les « on-dit » :

Lors de mes différents séjours sur le lac, j’ai pu entendre différentes histoires sur les « vrais–faux pêcheurs ». Pour mieux les comprendre, nous avons avec Kathy une amie birmane et Martin un chercheur français, pris le temps de les rencontrer et partager un peu de leur quotidien.

Ce que l’on entend sur eux :

  • Ce ne sont pas des pêcheurs,

Une grande partie des Intha (l’ethnie présente autour du lac) vit dans des maisons sur pilotis. La pêche a toujours été l’une de leurs ressources, et s’ils ont un tel équilibre, c’est qu’enfant ils allaient déjà pêcher avec leurs parents, tous les « faux » pêcheurs que j’ai rencontré ont été des « vrais ». Certains d’ailleurs pêchent encore en dehors de la saison touristique.

  • Ils sont payés par les hôtels,

Parfois des hôtels de luxe font appel à leurs services pour venir distraire les touristes en leur proposant un show (en général le show consiste à pagayer avec une jambe, tenir le filet en équilibre et faire semblant de pêcher).

  • Ils font semblant de pêcher,

Oui, ils font semblant, et ont souvent avec eux un poisson mort dans leur barque qu’ils ont acheté au marché pour faire croire aux touristes qu’ils l’ont pêché avec leur emblématique filet conique. Cette technique de pêche existe encore, mais elle est de moins en moins employée, a fortiori en saison sèche.

  • Ils demandent de l’argent pour se faire prendre en photo,

Oui, c’est vrai. Les approcher est très simple, votre batelier passera très probablement près d’eux pour que vous puissiez les prendre en photo. Ils sont en général à l’entrée du lac, là où toutes les excursions commencent.

Les pêcheurs du lac Inlé, sont devenus emblématiques, et il y a fort à parier que vous aussi allez dégainer votre appareil lorsque vous les apercevrez. Attendez-vous simplement à devoir laisser quelques kyats (monnaie locale).

Photographie mise en scène.

Faut-il les photographier ?

Personnellement, j’ai aimé les rencontrer, parler avec eux, monter dans leur barque, essayer de ramer comme eux, nager avec l’un d’entre eux dans ces eaux peu profondes… Je vous incite à en faire de même. Ils sont vraiment accueillants, et apprécieront de partager avec vous leur technique unique au monde… Mais soyez simplement conscient que cela aura un coût ! Ne soyez pas offusqué ou fâché s’ils vous demandent de l’argent. Si l’on va voir un spectacle, il est fort probable que l’entrée soit payante ; ici c’est pareil. Le pourboire que vous laissez sera juste, selon votre satisfaction et le temps que vous avez passé à leurs côtés.

Et les vrais pêcheurs ?

J’ai voulu rencontrer des vrais pêcheurs, ceux qui utilisent encore ce filet conique d’une manière traditionnelle. Ils existent encore, mais se trouvent dans des endroits du lac où vous ne passerez probablement pas. Les bateliers ne vous y emmèneront pas, car ils sont conscients que cela dérangerait et ferait fuir les poissons déjà peu nombreux.

Mais cette technique de pêche reste anecdotique, la plupart d’entre eux utilisent d’autres techniques plus productives (pose de filet, etc..).

Voici quelques images de vrais pêcheurs que vous pouvez espérer voir au loin.

Un mot sur les Inthas (par Martin Michalon, anthropologue):

Le lac Inlé est une région d’une diversité ethnique assez fabuleuse : Inthas, Shan, Pa-O, Danu, Taungyo, Bamars, etc. Dans cette mosaïque, les Inthas ont su s’affirmer, sur le plan économique, religieux, symbolique, par leur faculté d’adaptation et leur inventivité : mise en culture de jardins flottants sur le lac, artisanat de grande qualité, techniques de pêche originales. Ils ont donc pleinement su tirer parti de l’essor du tourisme dans les années 2000 : les plus riches ont ouvert des hôtels, tandis que les plus modestes se sont convertis en pilotes de bateaux ou en personnel d’hôtel.

Cet élan vers le tourisme est d’autant plus fort que les modes de vie traditionnels sont menacés par la dégradation de l’environnement local. D’après des récits des colons britanniques en 1918, le lac faisait environ six mètres de profondeur au maximum en saison des pluies ; aujourd’hui, on dépasse très péniblement les trois mètres, soit une baisse de moitié au cours du dernier siècle. Si, pour l’heure, la surface en eaux libres reste stable, les marges marécageuses se sédimentent à un rythme inquiétant, perdant un tiers de leur surface entre 1983 et 2014, avec une nette accélération depuis la sécheresse de 2010.

Cela a des traductions très directes sur le mode de vie des populations. Dans le village de Lwe Nyein, au Nord-Ouest du lac, tous les jardins flottants ont été abandonnés entre 2005 et 2010. Les villageois ont saisi l’opportunité touristique pour se reconvertir comme pilotes de bateau. Dans le village voisin de Kan Ywa, des zones qui étaient profondes de trois mètres. Il y a une vingtaine d’années sont devenues de la terre ferme, et en saison sèche, on peut rallier à pieds secs des villages autrefois accessibles seulement en bateau. Dans le village de Than Taung, à l’Ouest du lac, il était autrefois impossible de cultiver du riz, car les terres étaient inondées durant la majeure partie de l’année. Dans les années 2000, la sédimentation a permis de créer des rizières, mais la dynamique de comblement s’est poursuivie : aujourd’hui, les terres ne sont plus inondées, et le maïs et le tournesol ont remplacé le riz.

Le secteur de la pêche traverse aussi des difficultés : la pollution du lac par les intrants agricoles, le trafic croissant de bateau et la surpêche ont durement touché les espèces locales de poisson, qui ont migré par la rivière Bilu Chaung vers d’autres lacs situés plus en aval, tandis que le Tilapia, introduit dans les années 2000 par le gouvernement, prolifère. Alors qu’ils pouvaient pêcher huit à quinze kilos de poisson il y a une dizaine d’années, les pêcheurs ne peuvent aujourd’hui attraper que trois ou quatre kilos de tilapia, qui se vend à bas prix sur le marché.

Tous ces bouleversements environnementaux mettent à rude épreuve les facultés d’adaptation des Inthas, et le tourisme fait figure de sortie de secours logique. Pour les pêcheurs qui posent pour les touristes, cette activité leur permet de dégager des revenus corrects, de subvenir aux besoins de leur famille, d’envoyer leurs enfants à l’école et de payer leurs frais de santé… Un supplément bienvenu, qui permet à l’argent du tourisme d’atteindre ceux qui en ont le plus besoin. Au visiteur de tirer pleinement profit de cette rencontre, d’aller au contact de ces gens avec respect et curiosité afin de dépasser la dimension marchande de cette rencontre et vivre une expérience humaine des plus riches.

Merci à Martin et Kathy qui m’ont accompagné et aidé à traduire les discussions avec les pêcheurs, merci à Thanakha qui m’a logé durant mon séjour au lac Inlé.

Pour aller plus loin :

L’émission radio « Regard’Ailleurs » : Dans cet enregistrement vous entendrez les voix de Kathy et Martin, qui m’ont accompagné sur le lac pour aller à la rencontre des pêcheurs et de leur famille.

En bonus, une petite vidéo où vous pourrez avoir un aperçu de ce superbe pays.

Prev La vérité sur les moines enfumés ! (Birmanie)
Next 10 citations inspirantes sur la puissance de la joie !

One Comment

  1. superbe vidéo et reportage sur ce pays , bien loin de chez moi (Bretagne, France) , Pour moi , ce qui me bloque e plus en tant que AT , c’est cette croyance autour de quoi , tout fonctionne , et , c’est très bien pour eux , malgré l’intolérance de l’autre , qui , d’après ce que j’ai pu voir , ou entendre ces derniers temps , me laisse perplexe .La civilisation a du contre mais la religion encore plus .A part cela , superbe montage et très belles photos