Droit à l’image ?

Petite réflexion personnelle sur le droit à l’image.

Je suis photographe voyageur depuis l’âge de 20 ans (j’en ai 37). J’ai commencé en argentique avant l’arrivée du numérique, et depuis plusieurs années j’ai vu émerger cette notion de « droit à l’image ». J’en suis donc venu à me poser la question sur la légitimité de diffuser mes photographies réalisées lors des reportages ou missions humanitaires que j’ai effectués.

Petit rappel, voilà ce que nous dit Wikipedia :

Le droit à l’image est dans certains pays le droit de toute personne physique à disposer de son image. Les lois relatives au droit à l’image sont différentes selon les pays. 

En regardant de plus près les pays concernés, je me suis rendu compte qu’ils sont très largement minoritaires à connaître l’existence de cette notion de droit. J’en suis venu à me demander si cette notion n’est pas liée au développement de l’ego de certains peuples et à la peur générée par le non-contrôle de son image et du regard de l’autre sur soi. La notion du « moi » perd souvent de son sens dans les sociétés où le groupe et l’entraide prédominent sur l’individualisme et la compétitivité.  Pour certains, la préoccupation est de vivre l’instant présent. Demain semble encore loin.

Finalement sur les 7 milliards d’Hommes présents sur Terre, très peu se préoccupent du droit à l’image.

Bref, cette logique du droit à l’image me semble finalement intéresser bien peu de monde, à l’exception de ceux qui tirent profit de cette loi. J’ai fait le choix de vivre en France et dois donc m’adapter à certaines règles et à une pensée parfois unique qui me pèse. Le voyage au long cours m’aura, c’est certain, montré qu’il n’existe pas une réalité, mais que chacun a souvent tendance à vouloir faire adhérer l’autre à la sienne.

Lorsque je photographie une personne ou réalise un portrait, c’est le résultat d’une rencontre, d’un moment de partage, et à ce moment-là, je ne me pose jamais la question de la diffusion de la photographie, car souvent je ne sais pas encore si cette image sera utilisée, diffusée, ou éditée… Je me vois mal sortir un stylo pour faire signer un papier, et tenter d’expliquer une loi qui n’aurait pas de sens pour la personne photographiée, qui ne parlera certainement pas anglais et qui ne saura peut-être pas écrire…

Mais ce droit existe et est bien réel en France, alors comment dois-je réagir ? Peut être en étant sincère dans le regard que je porte sur le monde, et en ayant une intention bienveillante dans mon travail.

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Il se trouve qu’aujourd’hui, de nombreuses images réalisées sont diffusées dans des magazines, visibles sur Internet, éditées dans des livres, imprimées sur des cartes postales… sans que les hommes, femmes et enfants photographiés plusieurs mois ou année auparavant ne soient au courant de la réelle utilisation de leur image.

« Comment réagiraient les personnes photographiées si elles découvraient leurs images sur l’un des médias de diffusion ? »

Je n’en sais rien, et je pourrais difficilement retrouver toutes les personnes rencontrées pour leur poser la question.

Où peut bien être le berger mongol rencontré en fin de journée, au milieu de son troupeau, dans une partie de l’Altaï il y a plusieurs années… ?

N’ayant pas de réponse à cette question, j’ai fini par me créer un « code éthique » que je partage avec vous.

– Créer un lien ou une rencontre à travers le sourire, le toucher, le chant, le jeu, ou plus simplement la langue quand elle est commune.

– Réaliser les images avec le consentement des personnes lorsqu’il s’agit de gros plan ou de portrait.

– Contrôler la diffusion de mes images pour éviter qu’elles soient détournées à des fin publicitaires ou autres.

– Reverser une partie de la vente de mes images via l’association Regard’Ailleurs à un projet solidaire en lien avec les photographies effectuées.

– Essayer dans la mesure du possible de garder un lien avec la personne photographiée, ou lui restituer un tirage papier de son image.

Et c’est ce dernier point qui m’a offert d’incroyables surprises, en voilà deux exemples :

Ma photographie de Balak Das Baba, un sadhû népalais (moine errant) est devenue sans qu’il le sache la carte postale suivante.

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Des année plus tard, j’ai tenté de chercher ce sadhû qui vit dans une grotte près de Katmandhou, pour lui remettre en main propre le tirage papier de sa photo, et lui raconter comment cette image est devenue une carte postale.

J’ai eu la change de le retrouver. Je lui ai offert la photo et dans un éclat de rire, il a ouvert son sac et m’a offert la carte postale !

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Incroyable, un homme qui vit dans une grotte, sans aucune possession matérielle avait sur lui « sa » carte postale, diffusée localement en France. Jamais je ne me serais douté que cet homme improbable puisse un jour connaître l’existence de son image en carte postale… Et pourtant !

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J’ai retrouvé un homme heureux de se voir sur ma photographie. Quel est ici le sens du droit à l’image ?

Dans mes voyages, il m’est souvent arrivé de retrouver les personnes photographiées, et de leur offrir un tirage papier. Des années plus tard, j’ai retrouvé « par hasard » le moinillon imprimé sur ma carte de visite et en carte postale. Cette retrouvaille m’a permis de faire via l’association Regard’Ailleurs, un don à son monastère.

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Namatmuth

Je continuerai à faire des photographies de scènes de vie, de portraits lors de mes reportages, mais j’ai décidé qu’une partie des bénéfices de la vente de mes photos sera reversée à des projets solidaires que je souhaite soutenir. Je m’appliquerai à prendre des images en respectant « mon code éthique ».

Les photographies les plus connues qui ont marqué l’histoire continuent d’être éditées et visibles très largement. Je pense à cette image de Kim Phuc la petite Vietnamienne qui court nue, sous un bombardement américain au napalm.

Khim Puk

Ou encore à l’image de Steve Mac Curry et de la petite Afghane aux yeux verts. A-t-il été question de droit à l’image ?

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Je crois que le plus important, quand on est photographe, c’est de savoir pourquoi on prend nos images. Au Bangladesh, il m’est arrivé de photographier des mendiants allongés sur un trottoir, des estropiés pour une ONG dans le but de sensibiliser le grand public à une situation bien réelle.

Je tente aujourd’hui de montrer la beauté de l’Homme et du Monde ; l’objectif me sert à rendre éternelles les scènes de vie, paysages et les émotions que je trouve belles.

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